Mon frère est pédé

Une de mes connaissances, maman épanouie, dévouée corps et âme à sa progéniture - c'est bien simple, si la grossesse ne durait pas aussi longtemps, elle aurait le double d'enfants - a refait surface après avoir disparu assez longtemps dans sa résidence à la campagne.

 

« Tiens ? Te revoilà ? Encore un enfant ?

 

- Non, non, j'avais besoin de faire le point.»

 

Aïe ! pensais-je, sûr qu'elle vient de remarquer les vergetures sur son ventre, les cicatrices de ses césariennes, ses seins qui ne défient plus la pesanteur comme à ses vingt ans.

 

Et tout ça pour un mari absent qui se tue à la tâche et cinq mômes braillards dont elle n'arrive pas à canaliser l'énergie ?

 

« Mon frère est homosexuel... C'est... C'est terrible...

 

- Pardon ?!

 

- Oui, il me l'a dit, il m'a dit qu'il était homo. Je comprend maintenant pourquoi il était parti vivre en ville...

 

- ...

 

- C'est terrible... C'est... Et en plus, c'est le parrain de Matthieu...

 

- Et alors ?

 

- Ça remet tout en question...

 

- Quoi ?!

 

- Oui... Tout...

 

 

En effet : elle rêvait sans doute d'être tante, et s'aperçoit que son frère lui a ravi le rôle.

 

Home Sweet Home

Ma collègue Perrette est heureuse, elle vient enfin d'obtenir le permis de construire pour sa maison.

La trentaine à peine entamée elle a donc emprunté sur 20 ans de quoi construire le doux foyer familial : une maison avec un salon, une cuisine, une chambre pour elle et son mari, deux chambres pour les enfants (à venir) ainsi que diverses commodités.

Autant dire que, grâce à l'endettement, ils sont déjà à l'étroit, dans leur maison comme dans leur budget, et n'ont plus que deux ans de tranquillité devant eux.

« Hein ? Quoi ? ! Deux ans de tranquillité ? s'est-elle exclamée.

- Ben oui, tu en as déjà pour un an et demi à deux ans de travaux, de finitions et d'installation.

Après tu voudras souffler. Et c'est là que tu t'apercevras que les chambres des enfants seront quand même drôlement pratiques pour y installer un bureau, ou un dressing, ou un home-cinéma — enfin, tous vos trucs de blaireaux quoi ! — ou simplement pour entreposer ce que tu ne sais pas mettre ailleurs.

Une fois que toutes vos pièces seront bourrées à craquer, le truc qui s'appelle « horloge biologique » va te rappeler qu'il serait temps d'y penser aux gamins.

« Aux gamins car tu penses en faire plus d'un n'est-ce pas ?

— Euh... Oui...

— Eh oui ! Donc pendant les neuf mois qui précèdent la naissance... Hop ! Tu déménages une des chambres pour faire la place à tous les trucs inutiles que vous aurez achetés, ou qu'on vous aura offerts, pour l'occasion. Et là tu te dis... Zut ! Où est-ce qu'on va mettre tout ça ?...

— ...

— Une fois que le gosse sera là, fini les sorties ! Finis les petits week-ends improvisés, finies les soirées entre potes, ou tous ces petits trucs qui font le charme du célibat ou du couple en début de carrière.

De toutes façons, une fois les mensualités acquittées, tu n'auras plus assez pour te payer le babysitting, et puis qui sait ? En vingt ans vous aurez bien l'occasion, l'un ou l'autre, de perdre votre boulot une ou deux fois, alors...

— ...

— Et ce premier gamin ? On ne va pas le laisser tout seul ce premier gamin, non ?

— Ben non...

— Allez ! En route pour vider la deuxième piaule ! C'est le moment de remplacer l'abonnement au câble par celui de « Boxs de banlieue ».

Et la voiture ? Tu renonces à quoi pour changer de voiture ? Parce que bon, la Smart pour transporter deux gniards et les courses du week-end...

Ah les enfants... Ce sont des joies, mais ce sont aussi beaucoup de soucis !

Donc vingt ans de soucis en perspective...

C'est alors que, ton emprunt à peine remboursé, tu devras songer à économiser pour leurs études (puisque dans ton milieu de cols blancs amidonnés, on ne s'oriente pas vers le CAP à quatorze ans, n'est-ce pas ?)... Trop tard ! Il fallait le faire dès leur naissance !

Punaise Perrette ! T'as trente balais et tu viens d'en prendre pour vingt ans !

Je te vois déjà, usée à cinquante berges, croyant avoir « profité » de l'existence alors que tu ne te seras jamais fait que du mouron pour tes fins de semaines et tes fins de mois...

De toutes façons, s'en prendre pour vingt ans de crédit immobilier, faut vraiment avoir une mentalité d'assujetti. Ça te va bien d'avoir voté Sarko ! »

Cautère sur jambe de bois

Jeudi, 18 heures.

Demain, par la grâce conjuguée des 35 heures, des RTT, des heures supp' défiscalisées, je vais pouvoir me payer une bonne grasse matinée.

Après je m'interrogerai sur l'opportunité d'aller à un repas de quartier, mais pas dans mon quartier, histoire de simplifier les choses.

L'école primaire de ma fille a eu la « bonne » idée d'organiser un pique-nique, avec comme dessein avoué : encourager les parents à faire connaissance et tisser du lien.

( L'école a quand même pensé à organiser tout ça après le ramadan. Ouf ! ) 

Glissement sémantique de la novlangue bien pensante de gauche : on ne dit plus « tisser des liens » mais « tisser du lien », l'usage du partitif est bien pratique pour désigner sans pointer du doigt, pour inviter sans s'impliquer.

Comme lors des fêtes de fin d'année, on risque de retrouver les quatre éternels groupes de parents : les musulmans entre eux, les blancs marginalisés entre eux, les rares blancs intégrés entre eux, les noirs entre eux. Et les instits tentant de jouer les bons offices pour rapprocher tout le monde.

( Ne sachant plus à quel saint me vouer pour paraître encore plus aigri, raciste et macho congénital que je le suis, j'ai présenté tout le monde par ordre décroissant d'apparition à l'écran. Voilà ce que ça donne quand on glisse sur des peaux de bananes politiquement correctes )

A-sociable et asocial comme pas deux j'hésite à y aller, ce sera sans doute (encore) la mère de ma fille qui va se coltiner les relations publiques.

La dernière fois que je me suis « senti concerné » par une manifestation extra-scolaire c'était pour assister à une représentation théâtrale d'une troupe amateur composée de femmes noires du quartier. Représentation suivie d'une discussion-débat animé par la directrice du foyer culturel du même quartier - enfin, « foyer social et culturel » ou un truc dans le genre.

« Une pointure ! » m'a dit plus tard, admirative, la directrice de l'école de de ma fille. Je me suis gardé de tout commentaire et ai hoché la tête d'un air entendu, nous nous sommes quittés sur un sourire d'apparente complicité, alors que je me désespérais de constater, une fois de plus, à quel point l'enfer était pavé de bonnes intentions.

La représentation était « fraîche et plaisante », composée de saynètes qui narraient pourtant un quotidien très ordinaire ( « Le sac piscine de la semaine passée n'a pas été vidé », « Faut signer mon carnet de correspondance », « Comment veux-tu que je m'occupe de ton petit déjeuner alors que je dois être au travail à six heures ? Demande à ton père de se lever ! » )

Lors de la « discussion » qui suivit, la pointure avait beau jouer de tous ses effets de manche — le singulier est volontaire — elle ne parvenait pas à faire décoller, ou ne voulait pas faire décoller, le débat d'une sorte de ressassement de ces petites contrariétés du quotidien. Le tout dans le but louable de faire prendre conscience à toutes les personnes présentes des enjeux de l'école...

( L'école en question est classée en ZEP, dans un quartier essentiellement constitué de barres HLM, donc habitées par des bons immigrés, l'école est donc fréquentée par des enfants de bons immigrés )

Cautère sur une jambe de bois. J'ai comme dans l'idée que toutes les personnes présentes avaient parfaitement conscience des enjeux de l'école, ne serait-ce que par le fait qu'elles étaient présentes, je me demande bien pourquoi il fallait en plus nous infliger le pensum bien intentionné d'une pointure aux petits pieds.




PS : le pique-nique a eu lieu, ce fut très sympa, bien que les bruits venus de l'extérieur n'incitassent pas à la sérénité.