Le film que vous pourriez aller voir cette semaine s'intitule : « A very british gangster »
Comme son nom l'indique, ça parle d'un bandit très britannique.
Par association d'idées, qui dit « bandit » dit « police ».
(suivant en cela l'adage philosophique bien connu : « Il n'y a pas de nuit s'il n'y a pas de jour, il n'y a pas de joie s'il n'y a pas de tristesse, il n'y a pas de noir s'il n'y a pas de blanc, il n'y a pas de tomates s'il n'y a pas de carottes, il n'y a pas de roses s'il n'y a pas de poème désolé. Et, au fait, est-ce que tu as pensé au pain ou dois-je me rabattre sur Paulo Coelho ? »)
Toujours par association d'idées, qui dit bandit + police + film dit Festival du film policier de Cognac.
Et « A very british gangster » a obtenu le Grand Prix 2007 du festival du film policier de Cognac.
Autant dire qu'on peut y aller les yeux fermés, c'est pratiquement du V.S.O.P.
Alors ? Qu'ont-ils de spécifique les bandits britanniques ?
Je suis allé voir le film pour savoir et... J'ai pas arrêté de me marrer !
A very british gangster est tourné comme un documentaire ayant comme sujet principal un caïd de la pègre (Dominic Noonan) qui vit de ses oeuvres à Manchester.
Seulement voilà, c'est une énorme parodie de documentaire... Tout dans le montage, les faits relatés, les propos tenus par le gangster, sa façon de se mettre en avant, tout est tellement énorme et outrancier que je me suis pissé de rire du début à la fin. J'avais l'impression de voir « Zelig » de Woody Allen.
Film en permanence sur le fil du rasoir : scènes d'interviews ubuesques alternant avec des moments « pris sur le vif », voix off du réalisateur précisant certains faits, situant la chronologie des événements, certains gros plans bien appuyés, quelques effets de montage, quelques artifices de prise de vue (comme, par exemple, l'utilisation d'un filtre tabac dégradé pour assombrir le ciel au-dessus des cités ouvrières de Manchester, histoire de leur donner un aspect lourd et dramatique)...
J'avais vraiment l'impression de voir un reportage amateur style télé locale...
Mais je me suis bien marré, pas autant qu'avec Zelig mais pas mal non plus.
Puisque vous avez lu mon billet sur « Les fils de l'homme » vous savez :
- quel genre de cinéma je fréquente,
- que ce cinéma édite un programme papier dans lequel les films qu'il projette sont encensés plus que de raison,
- que pour cette raison je ne lis jamais le programme avant d'aller voir un film,
- que si je vais dans ce cinoche c'est parce que j'accorde encore un peu de crédit aux termes « Art et Essai Recherche » qui le labellisent.
Bon, je la lis quand même un peu la gazette du cinoche, mais juste en diagonale, pour avoir une idée du sujet.
Pour A very british gangster je me souviens juste des phrases :
« A very british gangster dresse le portrait haut en couleur d'un personnage aussi fascinant que...»
et
« Grand Prix du film policier de Cognac ».
Après m'être bien poilé durant la la projection je me dis : « Tiens ! Qu'est-ce qu'ils ont pu écrire sur ce film ? »
Et là...
Le choc !
« A very british gangster » n'est pas une fiction ! C'est un vrai documentaire...
Ah la vache ! J'étais persuadé de bout en bout qu'il s'agissait d'une parodie...
Ayant repris mes esprits, je me suis rendu compte que je venais de faire une découverte assez embêtante pour moi...
Je venais certes de comprendre pourquoi j'étais un des seuls spectateurs à rigoler — les autres avaient bien évidemment lu le programme ou des critiques et savaient de quoi il en retournait — mais se posait la question du discernement : en suis-je doté ?
Parce que bon, j'ai quand même visionné un film documentaire une heure et demie durant en croyant que c'était un pastiche...
(A ma décharge : le générique de début ne précisait pas qu'il s'agissait d'un documentaire, ou alors ça m'a echappé)
Puis vient l'incontournable question ô combien psycho-philosophique à la mord-moi le noeud (c'est une image, pas une supplique) :
Si j'avais su, aurais-je réagi de la même façon ?
Ne sachant quoi répondre... J'invoque les mânes de Koulechov !
Du coup le film devient flippant à plus d'un titre.
La gazette du cinoche, avec leur inimitable cheminement de pensée, a d'abord présenté le réalisateur comme un « spécialiste des reportages lourds », genre traite des blanches ou traffic d'armes, puis s'est indigné de voir que le malfrat avait particulièrement bien integré les « codes » des gangsters façon cinoche à la Scorcese ou Tarantino et en jouait devant la caméra du réalisateur. Pour finir, le lecteur a eu droit à l'indispensable couplet gauchisant sur la déliquescence de notre société ah mon bon monsieur !
Bon, je sais bien que ce cinoche doit bouffer à tous les rateliers pour attirer le client, mais être cinoche d'Art et d'Essai, diffuser entre autres des films de Scorcese, Coppola ou Tarantino puis venir déplorer que quelqu'un — comme par exemple le malfrat Noonan — en ait pris de la graine...
C'est également flippant par le fait que Dominic Noonan, fort de son expérience de bandit, est devenu chef d'entreprise spécialisée en... sécurité !
Il étend paisiblement son influence, allant jusqu'à ouvrir dans son quartier un « commissariat de police / bureau de poste avec coffres de dépôt », puisque le quartier a depuis longtemps été déserté par la police britannique...
On assiste alors à une très courtoise visite du chantier au cours de laquelle le malfrat présente l'agencement des lieux et détaille son projet.
(Un malfrat qui ouvre un commissariat... Vous comprenez pourquoi je croyais qu'il s'agissait d'un film parodique ?)
En attendant l'ouverture de son commissariat, Noonan joue les médiateurs et juges de paix dans le quartier (le documentaire le montre d'ailleurs à l'œuvre, résolvant des conflits de voisinage, mais c'est amené d'une telle façon, les commentaires du réalisateur, en voix-off, sa « couleur tonale » sont tellement en décalage qu'on croit que c'est un gag)
Autre source de perplexité : pour tourner son documentaire le réalisateur a cotoyé le malfrat durant trois ans ( « embedded » comme on dit depuis la guerre du Golfe ), il est présenté comme « aguerri aux techniques d'infiltration et d'immersion en milieu hostile »
(Pas moins. Mais cette citation est tirée de la gazette du cinoche, dont on sait que leurs auteurs ont particulièrement bien intégré les codes littéraires genre « roman de gare »)
Mais voilà, malgré ses trois ans de matériau de premier ordre, le réalisateur n'arrive à pondre qu'un docu dont la forme frôle avec un exercice de style qu'un étudiant en première année de journalisme refuserait de faire, et que des spectateurs (mal informés) ont pris pour une parodie...
Oups ! Je sens que ça glisse vers le débat oiseux « Une œuvre se suffit-elle à elle-même ou doit-elle être expliquée et son contexte situé ? »
Bon, ben je garde les débats oiseux pour une autre fois !
Parlons sexe maintenant.
(Ce billet commence à s'éterniser, il faut relancer votre attention, je vais taire les scènes se déroulant aux portes des tribunaux — qui valent pourtant le déplacement — et je vais parler de sexe )
Noonan et les femmes.
Punaise le veinard ! Un caïd de la pègre ça doit avoir toutes les femmes qu'il veut, non ?
Eh bien...
Tenez-vous bien...
Non, il n'est pas marié,
Non, il n'est pas chaste non plus.
En fait...
Noonan est gay ! Oui !
On l'apprend dans le docu : il est devenu gay.
Là encore ça m'a fait rigoler. Pas le fait qu'il soit gay — je le suis moi-même à mi-temps d'ailleurs— mais la façon dont le journaliste a amené le sujet : sans crier gare, sans que rien dans les scènes précédentes n'amène le sujet, fut-ce imperceptiblement, il balance sa question tout à trac : « Dis-moi Dominic, quand est-ce que tu es devenu gay ? »
Et là le spectateur non britannique est estomaqué : oser demander à un caïd de la pègre s'il est pédé...
Bon, ben, Noonan a répondu très simplement que oui, il était devenu gay.
(Ce qui prouve au passage que les scandaleuses remarques d'une ex-Premier ministre française n'étaient pas dénuées de fondement. Hum ! )
Il est devenu gay à la suite d'abus sexuels et aujourd'hui c'est lui qui choisit sa garde rapprochée. D'ailleurs le jeune garde du corps, là, qui se cache de la caméra, il l'a choisi tout en l'ayant fait passer dans son lit, précise-t-il avec un sourire amusé...
Et le spectateur de se demander si c'est du lard ou du cochon...
Après quelques nuits de sommeil, au cours desquelles je n'ai d'ailleurs rencontré aucune mâne de Koulechov, j'en suis arrivé à un terrible constat :
- j'ai du mal à lâcher des comms à tire-larigot sur les (rares) blogs que je visite, ce qui me coupe d'une grande partie du corps social 2.0,
- les films de fiction aux femmes stériles me mettent en rage alors que, dans les lectures faites de-ci de-là, ils sont qualifiés « d'œuvres magistrales »... Ça me coupe donc d'un autre bout du corps social,
- je confond documentaires périlleux et galéjades de télés locales. Là il ne reste plus le moindre bout de corps social auquel me rattacher :-(
Aux dernières nouvelles Noonan a pris pour environ 4 ans de prison (qui s'ajoutent aux 22 ans qu'il a déjà passé derrière les barreaux. Il a 37 ans).
Mais bon, des malfrats de ce style c'est comme des Mozart en musique : il ne s'en lève pas un chaque matin.
Ouf ! La société peut dormir tranquille ma bonne dame !