Son opticien a voulu lui en mettre plein la vue

Alors mon pote informaticien il est vachement content parce que son boss a renouvelé tous les postes informatiques du bureau. Maintenant il a des super-bécanes de course achetées chez Pâtissier - parce que son boss est près de ses sous - avec des super-écrans larges où il peut mettre toutes les fenêtres, et tous les écrans contextuels détachables, et toutes les palettes de contrôles, et tous les « inspecteurs d'objets », et tout et tout, dont il a besoin pour travailler confortablement dans une optique très user-friendly 7.02.

Il m'a dit aussi que, du coup, sa fenêtre d'édition, celle où il tape le code a-t-il précisé, occupe la même surface qu'avant.

Comme je ne comprenais pas, il m'a dit que la fenêtre la plus importante c'est quand même celle où on saisit le programme, on l'appelle la fenêtre d'édition.

« Ah bon ! » fis-je, dans une irrésistible imitation de Roselyne chez les Guignols.

(nous avons beaucoup ri de mon imitation)

Alors il m'a dit : « Tu vois là où tu tapes le texte dans l'éditeur de Disparates ?

- Oui

- Alors imagine que t'as un écran plus grand...

- Oui

- Eh ben malgré l'écran plus grand, tu as toujours la même taille d'éditeur !

- Pas une ligne de plus ?

- Pas une !

- C'est super pour se rendre compte du texte...

- Exactement ! »

Alors, en fait, il m'a dit que oui, il avait quand même un peu plus de lignes mais le problème c'est qu'elles étaient... plus petites !

Et du coup il a du mal à les lire.

Alors il s'est demandé s'il n'avait pas la vue qui baissait.

Et son ophtalmo l'a effectivement diagnostiqué mûr pour une paire de lunettes.

Alors mon pote informaticien est allé chez un marchand de lunettes qui fait la paire et les verres à 39 euros. Il s'est dit que ce serait bien suffisant, vu la qualité médiocre du travail qu'on lui demande de faire.

Et puis, c'est un informaticien, il a donc des goûts de chiottes. Il s'est dit que la paire à 39 euros ferait la paire.

(nous avons beaucoup ri devant l'astuce. Il a moins ri de mon opinion sur ses goûts)

Quand il est allé les essayer avec sa copine, elle a fait une grosse grimace. Il a donc jeté son dévolu sur une autre paire plus sexy, à 139 euros verres compris. Il en profite, sa copine a une très bonne mutuelle et il en bénéficie aussi.

Le marchand de verre a pris la référence des montures, a pris les coordonnées de la mutuelle, a regardé à deux fois tellement il était étonné qu'elle rembourse si bien, a tapé plein de choses sur son ordinateur et lui a annoncé un devis à 338 euros.

Pour des lunettes annoncées 139 euros verres compris.

Mon pote informaticien s'est étonné de la différence.

Le marchand lui a répondu que sa mutuelle avait un très bon forfait optique, que le devis était en-dessous, alors autant qu'il en profite.

Mon pote a dit qu'il voulait bien profiter mais pas abuser. Il ne comprenait pas comment on pouvait arriver à 338 euros alors que, dans le magasin, il était affiché que sa monture + les verres coûtaient 139 euros.

Il a donc demandé des explications sur le devis. Le marchand a dit qu'il y avait la monture, les verres, et les traitements sur les verres.

« - Quels traitements ?

- L'anti-reflet et l'amincissement, a répondu le marchand un peu laborieusement.

- L'anti-reflet, ok, a dit mon pote. L'amincissement ce n'est pas la peine.

- Mais ça va faire des verres épais ! Ce n'est pas très joli... »

Mon pote il est un peu sanguin. Il avait aussi installé des logiciels chez des opticiens. Il en avait assez vu pour savoir qu'ils font 50% de marge sur le prix facturé au public, que certains n'hésitent pas à charger la mule dès que le client est un peu ignare ou un peu âgé, et que l'amincissement n'était indiqué que pour les très fortes corrections, sans lequel les verres sont aussi épais que des culs de bouteille de champagne, et aussi inconfortables à porter.

Mais le marchand n'en démordait pas, il tenait absolument à placer son amincissement, surtout que, vu la mutuelle qu'avait mon pote, il ne comprenait pas que le montant du devis pose problème...

Le devis, il était affiché à l'écran. Apparemment la réglementation qui oblige les opticiens à établir un devis ne pousse pas la précision jusqu'à indiquer que le devis doit aussi être imprimé et remis au client avant la vente. Ce qui est pourtant le devenir habituel de tout devis dans toutes les autres professions qui en établissent.

Mon pote a demandé à avoir le devis. Le marchand lui a présenté l'écran de l'ordinateur. Avec un peu de moutarde dans ses poils de nez, mon pote a précisé qu'il voulait le devis imprimé. Le marchand n'a pas paru comprendre. Mon pote avait l'air de dire que le marchand n'avait pas non plus l'air de comprendre qu'il avait loupé la vente, ou qu'il l'avait si bien compris qu'il se creusait désormais les méninges pour savoir comment rattraper le coup. D'où son air absent.

Mon pote a quitté le magasin en expliquant qu'il trouvait pour le moins gonflé que le marchand se permette de charger un devis sous prétexte d'une bonne mutuelle, qu'il trouvait pour le moins pénible d'avoir dû insister pour obtenir le devis imprimé, mais il évita le couplet sur « et croyez que je sais ce que vous trafiquez en coulisses ! » car il trouvait ça trop franchouillard.

« Mais tu n'en pensais pas moins ?

- Bien sûr que si ! »



Mon pote est allé dans un autre magasin de la même enseigne, a commandé des lunettes avec les traitements qu'il avait décidé lui et non le marchand et est allé les récupérer une dizaine de jours plus tard.

« Les choses ont dû bien changer chez les opticiens. Avant les livraisons prenaient deux jours maximum.

- Ah mon bon monsieur ! ai-je-dit. Et peut-être aussi qu'ils ont réduit leurs marges ? Bon, tu me les montres ces lunettes ? »

Elles étaient rectangulaires. « On n'en trouve presque plus qui ne soient pas rectangulaires, déplora-t-il, c'est moche comme tout !

- Je sais, j'ai vu Caroline Aelion à la télé »

Il avait aussi pris les lunettes de soleil pour un euro de plus.

« Oh la vache ! On dirait le rectangle noir qu'on met sur les visages pour éviter l'identification...

- Le rectangle noir ?

- Oui, fis-je, sur les Détective et tous ces journaux à sensation.

- Mais ça date ça !

- Ben oui, mais je ne suis plus tout jeune hein !

- Aujourd'hui c'est le visage entier qu'on floute.

- Oui mais bon, avoue que ce ne serait pas pratique.

- Hein ?

- Ben oui, si on t'avait fait des grosses grosses lunettes en verre dépoli pour flouter ton visage ?

- Ah oui.

- Surtout que ce ne serait pas pratique non plus pour y voir clair, des verres dépolis.

- Ah oui, c'est vrai, fit-il, songeur »

Et nous terminâmes nos bières, en buvant à la santé du marchand qui venait de recevoir une leçon de commerce. Non mais !

*Crossing

Ma Marie,

Tu sais quoi ? Les tardives soirées d'hiver sont mauvaises conseillères...

Figure-toi qu'hier je naviguais un peu au hasard sur les blogs de Canalblog (en prenant cependant soin d'éviter comme la peste tous ces maudits blogs de scrap, tricot, couture, enfilage de perles et autres variétés de loisirs créatifs pour mamans trentenaires nostalgiques de l'école primaire et de ses célébrissimes colliers de nouilles de fêtes des mères) et je vois sur l'un d'eux une chatoyante vignette avec « Postcrossing » marqué dessus.

Tu connais mon intérêt pour tout ce qui est croisement, surtout si c'est délicatement leste et délicieusement contre-nature, j'ai même écrit un billet là-dessus (un billet tous publics, faut faire gaffe quand même) alors je me suis dit « Tiens ! Du Postcrossing ? Mais qu'est-ce donc ? »

Alors je clique sur le lien et j'atterris sur un site remarquablement Web 2.0.

Comment ? Qu'est-ce qu'un site Web 2.0 ? Ben c'est tout le contraire d'un site Web 0.2, ceux qu'on faisait dans le temps avec des horribles gifs animés sur fonds de pages texturées qui rappelaient les horribles papiers peints des années 70. Oui, il y a dix ans on décorait ses sites web comme on n'osait plus tapisser ses murs il y a quarante ans.

Donc un site Web 2.0 c'est frais et léger comme du Jockey sorti du frigo et c'est plein de couleurs douces et acidulées comme celles des bonbons Regalad.

Il y a aussi une philosophie sous-jacente au Web 2.0 m'a dit une fois mon pote informaticien. Mon Dieu qu'il m'a fait rire ce jour-là ! L'informatique qui ferait de la philo... Bernard-Henry L. peut aller se rhabiller !

La philosophie c'est l'interaction avec l'internaute. Bon, je ne vais pas te faire un cours Marie, mais sache qu'il est question d'Ajax et de contenu utilisateur. Oui, comme quand on est devant l'évier et son contenu à récurer, si tu veux.

Alors le PostCrossing c'est un truc qui tend à se réapproprier la matérialité des échanges entre individus. Tu vois, dis comme ça, tu quittes le café du commerce et tu entres de plain-pied dans le philo-comptoir. Trois pas à faire pour retrouver les mêmes, quoi.

Mais en clair, Postcrossing Web 2.0 : tu envoies des cartes postales à des gens que tu ne connais pas (mais que le Web 2.0 connait) et quand ils les reçoivent, ces gens que tu ne connais pas le disent au Web 2.0.

Et comme tu as bien envoyé tes cartes, le Web 2.0 donne alors ton adresse à d'autres gens que tu ne connais pas pour qu'ils t'envoient des cartes postales à leur tour.

Et quand tu les reçois, tu le signales au Web 2.0, qui donne alors des adresses au hasard à ces gens que tu ne connais pas, et ainsi de suite.

Ces gens que tu ne connais pas, ils sont dans le monde entier puisque le Web 2.0 est mondial (c'est la mondialisation 3.02), alors tu reçois plein de cartes postales du monde entier.

C'est vachement chouette tu vois, tu peux te faire un mur de cartes postales et faire bisquer tes amis en disant que là c'est tous les endroits du monde que tu as visité quand tu n'étais pas chômeur et que tu avais assez de salaire, de RTT où d'actions Total pour profiter de la vie (qui vaudra toujours mieux que leurs profits, tu sais bien).

C'est drôlement Trendy 1.4 le mur de cartes postales, j'en ai vu dans des films américains.



Alors je me suis dit : « Pourquoi pas moi ? » Et je me suis inscrit !

Et j'ai demandé quelques adresses où envoyer des cartes postales.

(oui, parce que le Web 2.0 respecte la vie privée des gens et ne pioche pas les adresses au hasard dans l'annuaire mais au hasard parmi les gens qui sont volontaires pour jouer le jeu)

J'ai donc eu cinq adresses.

J'étais donc en attente d'envoyer mes cartes.

Et c'est là que j'ai commencé à réfléchir...

D'abord je suis allé exhumer un stock de cartes postales obtenues gratuitement à un salon où standait une obscure officine régionale de promotion touristique. Je les avais eues en faisant du gringue à l'exposante et en profitant de sa méconnaissance totale des rouages administratifs (les mêmes qui régissaient pourtant son officine). Je me suis fait passer pour un N+4 aussi inaccessible qu'incontournable, d'une région voisine, qu'il fallait donc cajoler au cas où je serais quelqu'un d'important. C'est la France éternelle, ça décapite des princes et des rois mais ça reste néanmoins pleutre ou courtisan dans l'âme.

Quant à l'officine, ça lui apprendra à ne pas briefer les stagiaires qu'elle recrute pour animer les stands à pas cher.



Mais revenons à PostCrossing.

J'ai donc sous la main une série de vues choisies pour leur haut intérêt touristique, mais surtout choisies pour ne froisser aucune sensibilité locale. Rien qui décoiffe donc.

Et se pose le choix délicat de celles à envoyer...

C'est que, en m'inscrivant sur ce site, je deviens un peu ambassadeur d'une certaine idée de la France tout de même ! Je ne sais si les services de Citizen K (tu sais, celui qui vitupère les accusations dont il n'a jamais été l'objet http://www.marianne2.fr/Ce-qu-a-vraiment-ecrit-Pierre-Pean_a174727.html) fera un geste pour le rayonnement du pays, mais moi oui !

Alors j'ignore si j'envoie les cartes passe-partout ou celles qui font preuve d'un minimum d'originalité. C'est qu'il y a une nord-américaine, une finlandaise, une hollandaise, une chinoise et une allemande dans les destinataires

(oui, que des nanas. Peut-être que le scrapbooking est tellement passé de mode là-bas qu'elles se cherchent une autre occupation. Et leurs mecs doivent avoir mieux à faire)



La deuxième question c'est : « Mais combien ça va me coûter tout ça ? »

« Heureusement qu'il y a un affranchissement réduit « Carte Postale », me suis-je dit.

Je suis quand même allé vérifier et... il n'y en a plus !

Le tarif réduit pour cartes postales c'était à l'époque de La Poste Service Public 0.001.

Maintenant c'est soit envoi international plein-pot, soit envoi international demi plein-pot mais avec « franchise de poids » tellement pas intéressante que le tarif économique coûte plus cher que le plein tarif !

(Faudrait quand même que je demande à Olivier B. s'il n'y a vraiment plus de tarif Carte postale. Il a ses entrées à La Poste, il pourra sans doute me renseigner)

Bref, si j'envoie cinq cartes, ça me coûte deux journées de bouffe !

(Oui ma Marie, on peut largement faire quatre repas pour 8 euros. Faut pas le dire trop fort, ça va casser le moral des bénévoles des Restos du cœur)



Mais pourquoi je ne réfléchis pas avant ?



Alors comme il me fallait des sous, je suis sorti encore une fois pour aller chercher du travail. En vélo. Je n'ai plus de voiture depuis longtemps et de toutes façons Mme Lagarde nous avait soufflé la solution du vélo pour lutter contre la crise et le coût des carburants.

Manger peu et faire de l'exercice beaucoup, voilà le secret de la forme ! Le chômage est une bénédiction contre le syndrôme dysmétabolique.

Comme à Cuba, où il n'y a pas trop de problèmes d'obésité paraît-il. Mais là-bas c'est un régime communiste. C'est pas la bouffe qu'ils ont en plus, c'est l'électricité je crois.



Mais envoyer des cartes postales... Tu parles d'un loisir de riche !



Comment Marie ? Pourquoi je ne t'envoie pas des cartes postales à toi ?

Ben... Encore aurait-il fallu que tu me donnes autre chose qu'une simple adresse e-mail pour t'écrire !

Dynamique de groupe et parcours du combattant

Pour célébrer dignement mon entrée dans ma quatrième année de chômage, l'ANPE le Pôle Emploi m'a placé dans un « OEG ».

OEG » c'est un raccourci pour désigner un « Objectif Emploi Groupe », un truc où on rassemble dix à quinze chômeurs dans la même pièce, deux à trois jours par semaine pendant trois mois, et où ils sont censés se remotiver pour trouver un emploi, apprendre les techniques de recherche qui vont bien.

C'est assez gonflant, c'est plutôt inutile, mais c'est aussi la preuve qu'il n'y a pas besoin d'être médecin ou patron du CAC40 pour avoir droit à un petit séminaire de derrière les fagots.

Sauf que là il n'y a pas de plages avec cocotiers, de poules d'hôtels de luxe à gros nibards avec piscine et de conférences-écran pour faire croire à Madame qu'on travaille.

Première étape : faire le bilan de nos formations, de nos connaissances, de ce qui nous a plu et déplu, de notre vision de notre parcours scolaire, et du « si c'était à refaire que referions-nous ? ».

Déjà, que l'on doive parler de l'école alors que la plupart des personnes présentes l'avaient quittée depuis plus de vingt ans... Je me suis demandé si je ne m'étais trompé de porte, peut-être étais-je dans un stage de rebirthing, va savoir.

Mais pour moi ça été vite plié. A part un baccalauréat lettres-langues obtenu de justesse – précision que je me suis abstenu de donner - je n'avais RIEN à offrir dans mon parcours, mais alors RIEN !

(Ah si ! Un CAP de barman mais ce diplôme est peu recherché dans les domaines que je convoite désormais)

« Et quelles étaient les langues que vous avez apprises ? » a très cordialement demandé la consultante

(ouais ouais, vous avez bien lu : on a droit à des « consultants ». J'espère qu'ils ne seront pas du même genre que chez Arthur Andersen)

Elle avait vu mon plus gros diplôme, connaissait manifestement la teneur de mon bac, savait qu'il y avait trois langues, mais s'étonnait aimablement que je n'en mentionne que deux sur mon CV

« - Anglais, espagnol et arabe » ai-je répondu.

« - Arabe ! » s'est exclamé la moitié de l'assistance, y compris celle, à demi-teintée, qui s'étonnait qu'un gars aussi beurre frais que moi ai appris l'arabe .

(Vas-y mon gars ! Tu le tiens ton quart d'heure warholien !)

« - Ben oui, pourquoi ? » ai-je rétorqué, faussement étonné (j'adore faire ma diva).

« - Ah ! Alors, tout à l'heure, vous nous direz quelques mots en arabe ? » a ajouté la consultante.

C'est un de ses trucs de « convivialité » : que les personnes présentes puissent montrer leurs savoir-faire, leurs « transversalités ». A croire qu'ils ne savent plus par quel bout nous attraper pour nous faire retrouver la confiance qui sommeille en nous.

(Mais alors, d'un sommeil de plomb, hein !)

Ainsi, une jeune fille sans permis, tout juste rescapée d'un cuisant échec à son CAP d'ébénisterie, a été invitée à nous montrer quelques-une de ses réalisations. Ça part d'un bon sentiment ces petits à-côtés, dans le genre « tout est utile » (et tout est dans tout) mais bon, ça se heurte quand même à des obstacles pratiques tellement évidents qu'ils n'ont même pas effleuré l'esprit de notre sémillante consultante : transporter des meubles, pour un OEG en plus, là où on ne se traîne que contraint et forcé... Déjà en voiture c'est d'un commode... Mais alors en autobus...

Quant à moi, j'ai tu que ma transversalité était d'écrire des blogs de cul, des blogs techniques, des blogs désabusés et que, lorsque je n'écris pas, j'adore rouler des pelles à mon pote informaticien quand il passe à la maison et que nos femmes sont occupées à leur place à la cuisine.

« Oh non, fis-je débonnaire, ça remonte quand même à un paquet d'années, l'arabe je ne sais plus que le lire, sans le comprendre, à part quelques expressions qui m'ont marqué »

Alors zou ! J'ai raconté un peu mon parcours professionnel (que je ne dévoilerai pas ici, je n'ai pas attendu le portrait de Marc L. pour me méfier d'internet), j'ai parsemé mon exposé de nombreux coq à l'âne, car sous des dehors austères et mal-rasés je suis un sacré déconneur et l'assistance, quelque peu assommée par la chaleur de la salle ou la faiblesse de leur petit déjeuner, commençait à se demander quel était le fil d'Ariane entre toutes ces transversalités sur lesquelles je m'étendais gaiement.

Puis, à la question « si c'était à refaire que referiez-vous ? », j'ai sobrement répondu que je n'en savais rien.

(Tu parles que je le savais ! Déjà éviter de naître dans une famille de fêlés qui ont bousillé mon enfance au point que les services sociaux ont dû m'éloigner à 700 bornes de chez moi ! Mais bon, on était tous là pour apprendre à retrouver un emploi, pas pour raconter sa vie et faire pleurer dans les chaumières)

Alors s'il y a mieux qu'un OEG pour pécho les nanas, il y avait dans notre groupe quand même beaucoup plus de nanas que de mecs.

C'est ainsi que j'ai fait la connaissance de Laura, une espagnole débarquée en France il y a peu, de Graciela, une cubaine quadrilingue (espagnol, français, anglais, russe), débarquée en France il y a cinq ans, et de Nathalie, une française tout juste débarquée de son boulot, il y a deux mois, pour cause de harcèlement moral.

La consultante de l'OEG m'avait placé presque d'office en « groupe restreint » avec Laura et Graciela, rapport à ce qu'on parle tous les trois la même langue (l'espagnol).

La consigne de « l'OEG groupe restreint » consistait à contrôler mutuellement nos « listes de connaissances » pour voir si cela cadrait avec les présentations publiques effectuées juste avant.

La « liste des connaissances », ce n'est pas la blog roll liste de notre carnet d'adresses bien sûr, mais l'énumération de toutes les choses que nous avions faites, on devait répertorier la moindre de nos connaissances, même celles acquises au cours de nos plus infimes ou insignifiantes expériences professionnelles.

Fort de ce fil conducteur j'ai donc répondu aux questions de Laura l'espagnole, qui se demandait pourquoi l'ANPE le Pôle Emploi l'avait mise là, puis j'en enchaîné sur « Aida », une série télé ibérique qui m'avait laissé sur le cul la première fois que je l'avais vue.

Échange fructueux puisque plus tard Laura m'a envoyé des liens Youtube sur Paco Leon, une des vedettes de la série, en train de pasticher Raquel Revuelta , une présentatrice de « films à la télé » (un peu le genre de Laurent Weil sur M6 il y a longtemps — mais en bien plus belle — avant qu'il n'ait cru trouver la consécration de son (très) maigre talent sur Canal Plus). Les pastiches sont à mourir de rire, à condition de :

  • comprendre l'espagnol (Paco Leon fait la gourdasse qui n'articule pas)

  • avoir vu quelques épisodes d'Aida auparavant, histoire de se mettre dans l'ambiance (bien que Aida et les pastiches n'aient rien en commun)

Ah oui mais on devait « lister nos connaissances » en « groupe restreint ».

On l'a fait en espagnol bien sûr, ce qui nous a permis de parler de tout et n'importe quoi, sauf de ce dont nous étions censés discuter.

(J'ai maladroitement causé de Cuba à Graciela, je ne sais pas si je pousse jusqu'à lui causer de « Company Man »)

Tout cela a permis à un jeune participant de l'OEG de s'exclamer : « Ah ben dis donc ! J'ai fait espagnol à l'école mais là, en vous écoutant, je ne comprends rien ! ». Splendeur et misères de l'Education nationale...

Le jeune faisait partie d'un autre groupe restreint, il n'avait pas vraiment de raisons de s'immiscer dans notre synergie mais puisque nous devions par ailleurs cultiver une dynamique de groupe je lui ai offert l'opportunité de se repositionner sur ses compétences linguistiques :

« - Qu'est-ce que tu connais en espagnol ?

- Ah ben je sais me présenter !

- Ben vas-y !

- Alors... Yo mais yamó oui-li-ám Asserdá »

(j'ai mis ses accents toniques)

« - Je sais aussi compter : unó-dosse-tresse... Euh... Cuatró ! Cincó-seïs-sete-otcho... Nuebe-diez, Euh... diez y uno, diez y dos... »

Je ne sais pas trop quelle idée Laura se faisaient de la France, mais pour ce qui est des français elle a été servie.

Quant à moi j'ai appris, qu'en espagnol, j'avais l'accent de ma région (j'en étais presque tout fier et flatté - vu le peu d'occasions que j'ai de pratiquer la langue de mes grands-parents - jusqu'à ce que je me souvienne que, poussé à l'extrême, cet accent pouvait être pris pour celui des cul-terreux. Je n'ai rien contre eux hein ! Mais les Ibères sont fiers et ombrageux, tout le monde sait ça).

Alors j'ai demandé à Laura si elle savait où je pouvais trouver un vrai dico espagnol-français, sur Internet et gratuit tankafère. C'est qu'il y a des dialogues d'Aida qui m'échappent vu qu'ils sont truffés d'argot, et que l'argot espagnol, ben c'est pas vraiment la langue que m'ont apprise mes grands-parents.

Avec Google j'étais tombé sur un site qui liste quelques expressions : http://site.voila.fr/tsk/dossiers/esp/argesp.html

Par exemple, rien que pour le mot « baiser » il y a 13 expressions. J'arrive péniblement à en trouver la moitié en français, sans doute un manque de pratique. Tout le monde sait qu'une langue se perd si on ne la pratique pas.

J'ai pris l'exemple de « baiser » car le sujet revient souvent dans Aida. Mais il y a aussi plein de « joder ! », « cabron ! », « coñazo ! », « dar el braguetazo », « capullo », « pringa'o », etc.

A croire que l'Espagne n'est intéressée que par le sexe, l'argent et l'insulte de son prochain.