Dynamique de groupe et parcours du combattant

Pour célébrer dignement mon entrée dans ma quatrième année de chômage, l'ANPE le Pôle Emploi m'a placé dans un « OEG ».

OEG » c'est un raccourci pour désigner un « Objectif Emploi Groupe », un truc où on rassemble dix à quinze chômeurs dans la même pièce, deux à trois jours par semaine pendant trois mois, et où ils sont censés se remotiver pour trouver un emploi, apprendre les techniques de recherche qui vont bien.

C'est assez gonflant, c'est plutôt inutile, mais c'est aussi la preuve qu'il n'y a pas besoin d'être médecin ou patron du CAC40 pour avoir droit à un petit séminaire de derrière les fagots.

Sauf que là il n'y a pas de plages avec cocotiers, de poules d'hôtels de luxe à gros nibards avec piscine et de conférences-écran pour faire croire à Madame qu'on travaille.

Première étape : faire le bilan de nos formations, de nos connaissances, de ce qui nous a plu et déplu, de notre vision de notre parcours scolaire, et du « si c'était à refaire que referions-nous ? ».

Déjà, que l'on doive parler de l'école alors que la plupart des personnes présentes l'avaient quittée depuis plus de vingt ans... Je me suis demandé si je ne m'étais trompé de porte, peut-être étais-je dans un stage de rebirthing, va savoir.

Mais pour moi ça été vite plié. A part un baccalauréat lettres-langues obtenu de justesse – précision que je me suis abstenu de donner - je n'avais RIEN à offrir dans mon parcours, mais alors RIEN !

(Ah si ! Un CAP de barman mais ce diplôme est peu recherché dans les domaines que je convoite désormais)

« Et quelles étaient les langues que vous avez apprises ? » a très cordialement demandé la consultante

(ouais ouais, vous avez bien lu : on a droit à des « consultants ». J'espère qu'ils ne seront pas du même genre que chez Arthur Andersen)

Elle avait vu mon plus gros diplôme, connaissait manifestement la teneur de mon bac, savait qu'il y avait trois langues, mais s'étonnait aimablement que je n'en mentionne que deux sur mon CV

« - Anglais, espagnol et arabe » ai-je répondu.

« - Arabe ! » s'est exclamé la moitié de l'assistance, y compris celle, à demi-teintée, qui s'étonnait qu'un gars aussi beurre frais que moi ai appris l'arabe .

(Vas-y mon gars ! Tu le tiens ton quart d'heure warholien !)

« - Ben oui, pourquoi ? » ai-je rétorqué, faussement étonné (j'adore faire ma diva).

« - Ah ! Alors, tout à l'heure, vous nous direz quelques mots en arabe ? » a ajouté la consultante.

C'est un de ses trucs de « convivialité » : que les personnes présentes puissent montrer leurs savoir-faire, leurs « transversalités ». A croire qu'ils ne savent plus par quel bout nous attraper pour nous faire retrouver la confiance qui sommeille en nous.

(Mais alors, d'un sommeil de plomb, hein !)

Ainsi, une jeune fille sans permis, tout juste rescapée d'un cuisant échec à son CAP d'ébénisterie, a été invitée à nous montrer quelques-une de ses réalisations. Ça part d'un bon sentiment ces petits à-côtés, dans le genre « tout est utile » (et tout est dans tout) mais bon, ça se heurte quand même à des obstacles pratiques tellement évidents qu'ils n'ont même pas effleuré l'esprit de notre sémillante consultante : transporter des meubles, pour un OEG en plus, là où on ne se traîne que contraint et forcé... Déjà en voiture c'est d'un commode... Mais alors en autobus...

Quant à moi, j'ai tu que ma transversalité était d'écrire des blogs de cul, des blogs techniques, des blogs désabusés et que, lorsque je n'écris pas, j'adore rouler des pelles à mon pote informaticien quand il passe à la maison et que nos femmes sont occupées à leur place à la cuisine.

« Oh non, fis-je débonnaire, ça remonte quand même à un paquet d'années, l'arabe je ne sais plus que le lire, sans le comprendre, à part quelques expressions qui m'ont marqué »

Alors zou ! J'ai raconté un peu mon parcours professionnel (que je ne dévoilerai pas ici, je n'ai pas attendu le portrait de Marc L. pour me méfier d'internet), j'ai parsemé mon exposé de nombreux coq à l'âne, car sous des dehors austères et mal-rasés je suis un sacré déconneur et l'assistance, quelque peu assommée par la chaleur de la salle ou la faiblesse de leur petit déjeuner, commençait à se demander quel était le fil d'Ariane entre toutes ces transversalités sur lesquelles je m'étendais gaiement.

Puis, à la question « si c'était à refaire que referiez-vous ? », j'ai sobrement répondu que je n'en savais rien.

(Tu parles que je le savais ! Déjà éviter de naître dans une famille de fêlés qui ont bousillé mon enfance au point que les services sociaux ont dû m'éloigner à 700 bornes de chez moi ! Mais bon, on était tous là pour apprendre à retrouver un emploi, pas pour raconter sa vie et faire pleurer dans les chaumières)

Alors s'il y a mieux qu'un OEG pour pécho les nanas, il y avait dans notre groupe quand même beaucoup plus de nanas que de mecs.

C'est ainsi que j'ai fait la connaissance de Laura, une espagnole débarquée en France il y a peu, de Graciela, une cubaine quadrilingue (espagnol, français, anglais, russe), débarquée en France il y a cinq ans, et de Nathalie, une française tout juste débarquée de son boulot, il y a deux mois, pour cause de harcèlement moral.

La consultante de l'OEG m'avait placé presque d'office en « groupe restreint » avec Laura et Graciela, rapport à ce qu'on parle tous les trois la même langue (l'espagnol).

La consigne de « l'OEG groupe restreint » consistait à contrôler mutuellement nos « listes de connaissances » pour voir si cela cadrait avec les présentations publiques effectuées juste avant.

La « liste des connaissances », ce n'est pas la blog roll liste de notre carnet d'adresses bien sûr, mais l'énumération de toutes les choses que nous avions faites, on devait répertorier la moindre de nos connaissances, même celles acquises au cours de nos plus infimes ou insignifiantes expériences professionnelles.

Fort de ce fil conducteur j'ai donc répondu aux questions de Laura l'espagnole, qui se demandait pourquoi l'ANPE le Pôle Emploi l'avait mise là, puis j'en enchaîné sur « Aida », une série télé ibérique qui m'avait laissé sur le cul la première fois que je l'avais vue.

Échange fructueux puisque plus tard Laura m'a envoyé des liens Youtube sur Paco Leon, une des vedettes de la série, en train de pasticher Raquel Revuelta , une présentatrice de « films à la télé » (un peu le genre de Laurent Weil sur M6 il y a longtemps — mais en bien plus belle — avant qu'il n'ait cru trouver la consécration de son (très) maigre talent sur Canal Plus). Les pastiches sont à mourir de rire, à condition de :

  • comprendre l'espagnol (Paco Leon fait la gourdasse qui n'articule pas)

  • avoir vu quelques épisodes d'Aida auparavant, histoire de se mettre dans l'ambiance (bien que Aida et les pastiches n'aient rien en commun)

Ah oui mais on devait « lister nos connaissances » en « groupe restreint ».

On l'a fait en espagnol bien sûr, ce qui nous a permis de parler de tout et n'importe quoi, sauf de ce dont nous étions censés discuter.

(J'ai maladroitement causé de Cuba à Graciela, je ne sais pas si je pousse jusqu'à lui causer de « Company Man »)

Tout cela a permis à un jeune participant de l'OEG de s'exclamer : « Ah ben dis donc ! J'ai fait espagnol à l'école mais là, en vous écoutant, je ne comprends rien ! ». Splendeur et misères de l'Education nationale...

Le jeune faisait partie d'un autre groupe restreint, il n'avait pas vraiment de raisons de s'immiscer dans notre synergie mais puisque nous devions par ailleurs cultiver une dynamique de groupe je lui ai offert l'opportunité de se repositionner sur ses compétences linguistiques :

« - Qu'est-ce que tu connais en espagnol ?

- Ah ben je sais me présenter !

- Ben vas-y !

- Alors... Yo mais yamó oui-li-ám Asserdá »

(j'ai mis ses accents toniques)

« - Je sais aussi compter : unó-dosse-tresse... Euh... Cuatró ! Cincó-seïs-sete-otcho... Nuebe-diez, Euh... diez y uno, diez y dos... »

Je ne sais pas trop quelle idée Laura se faisaient de la France, mais pour ce qui est des français elle a été servie.

Quant à moi j'ai appris, qu'en espagnol, j'avais l'accent de ma région (j'en étais presque tout fier et flatté - vu le peu d'occasions que j'ai de pratiquer la langue de mes grands-parents - jusqu'à ce que je me souvienne que, poussé à l'extrême, cet accent pouvait être pris pour celui des cul-terreux. Je n'ai rien contre eux hein ! Mais les Ibères sont fiers et ombrageux, tout le monde sait ça).

Alors j'ai demandé à Laura si elle savait où je pouvais trouver un vrai dico espagnol-français, sur Internet et gratuit tankafère. C'est qu'il y a des dialogues d'Aida qui m'échappent vu qu'ils sont truffés d'argot, et que l'argot espagnol, ben c'est pas vraiment la langue que m'ont apprise mes grands-parents.

Avec Google j'étais tombé sur un site qui liste quelques expressions : http://site.voila.fr/tsk/dossiers/esp/argesp.html

Par exemple, rien que pour le mot « baiser » il y a 13 expressions. J'arrive péniblement à en trouver la moitié en français, sans doute un manque de pratique. Tout le monde sait qu'une langue se perd si on ne la pratique pas.

J'ai pris l'exemple de « baiser » car le sujet revient souvent dans Aida. Mais il y a aussi plein de « joder ! », « cabron ! », « coñazo ! », « dar el braguetazo », « capullo », « pringa'o », etc.

A croire que l'Espagne n'est intéressée que par le sexe, l'argent et l'insulte de son prochain.