« Deux jours à tuer »

Le film que vous pouvez éviter cette semaine s'intitule « Deux jours à tuer ».

C'est aussi ce que je me dis à la veille de chaque week-end, encore deux jours à tuer.

Les autres jours de la semaine également remarquez, ce sont aussi des jours à tuer. Mais bon, les jours de la semaine il y a des distractions, les gosses gamins à amener à l'école (j'ai barré, je ne voudrais pas que les lecteurs québécois s'imaginent que j'amène du monde à l'école du sexe), le ménage du matin à faire, le repas à préparer, les morpions enfants à reprendre à l'école, les devoirs à faire faire, le conjoint à écouter au retour de son boulot, le repas à faire, les enfants à coucher, les dents à brosser, le câlin à faire, bref, même chômeur de longue durée, il y a de quoi massacrer plusieurs journées avec toutes ces occupations.

Mais le week-end c'est le moment de la semaine où on peut recevoir ses potes, ceux qui bossent, ceux qui n'ont pas (encore) de conjoint auprès de qui vomir leur journée de travail et qui viennent donc la répandre chez vous, vous ôtant ainsi la maigre motivation qui vous reste pour retrouver du boulot.

Et là c'est mon pote informaticien, celui qui me fait rire d'habitude, et dont je vous raconterai d'autres aventures une prochaine fois, qui est venu essayer mon lecteur DVD avec le film tout neuf qu'il s'est procuré par des voies tout à fait honnêtes, ce qui est à saluer car c'est plutôt rare chez des gens qui ont toutes les facilités pour rester branchés 24h/24 là où vous savez.

(A mon avis il ne m'a pas tout dit, il doit tenter un sevrage progressif avant que parce que ça commence à sentir le roussi, mais bon, ça reste entre nous)

Alors voilà qu'il débarque chez moi avec le film « Deux jours à tuer ». Comme je ne vais plus au cinéma, et encore moins dans les cinémas tenus par des hypocrites se réclamant du gauchisme mais qui se comportent en fait comme même le MEDEF n'ose pas le faire, je ne savais pas trop de quoi ça parlait.

Mais j'ai vu qu'il y avait Albert Dupontel au générique.

«  Aïe me suis-je dit, on va avoir droit à une leçon de vie, façon vieux-qui-sait-et-qui-l'envoie-pas-dire-tellement-vous-comprenez-rien-alors-que-ça-saute-aux-yeux. »

J'étais moyennement chaud, je suis donc allé chercher les glaçons dans le frigo puisque mon pote avait aussi apporté de la junk-food et des sodas.

Cécile Méliot (la madame d'Antoine Méliot, qui, lui, est joué par Albert Dupontel) appelle son mari pour qu'il aille chercher sa belle-mère à la clinique où on l'avait soignée pour un bras cassé.

Ah mais voilà : belle-maman d'Antoine est une bourgeoise (pas étonnant qu'elle s'y connaisse en bras cassés), en plus on la découvrira revêche et exigeante avec le petit personnel de la clinique…  Autant dire qu'à cause de ce caractère de cochon, Antoine est moyennement emballé pour aller la chercher.

Ah mais voilà, Antoine est du genre à dire ses quatre-vérités aux gens et les premières minutes du film vont lui donner l'occasion de tirer sa première salve. Aux frais de belle-maman. La bourgeoise. Rhaaaaaaa ! Quel plaisir par procuration de sortir ses quatre-vérités aux bourgeois...

Ah oui, j'ai oublié de vous le dire (mais vous vous en foutez car comme le film est déjà passé en salle vous devez déjà le savoir) mais l'intrigue veut qu'Albert Dupontel passe les quarante premières minutes du film à se fâcher avec tout le monde en balançant plein de quatre-vérités.

Donc, après avoir balancé ses quatre-vérités à belle-maman, Antoine part au boulot.

Un boulot qui tombe à pic puisqu'Antoine est pu-bli-ci-taire ! Autant dire le job rêvé pour tous les pétages de plombs possibles et imaginables, genre je craque parce que je suis charrette pour avant-hier, que le livreur de coke n'est pas encore passé et que si ça continue, c'est le client qui va comprendre à quel point son produit est nul !

Bon, ya pas de coke dans le film. « Deux jours à tuer » se veut plus classieux que « 99F »

En revanche il y a du yaourt. C'est le produit à vendre et le client voudrait un slogan plus punchy et poétique que « 0% de matière grasse, pas de sucres, anti-cholestérol »...

« Comment ça « plus poétique » ? » demande Antoine qui commence alors une sorte de tirade à la Cyrano avec tous les slogans possibles, imaginables, et ridicules. Puis il se barre en envoyant chier le client !

Dans la foulée il file aussi tout son paquet de clopes à un poivrot et revend ses parts de l'agence à son associé.

Et on le retrouve un peu plus tard en train de déjeuner avec une nana dont on comprend, à ses gestes affectueux, que ce n'est pas sa femme :

« Antoine, tu vas lui dire ? C'est plus possible de continuer comme ça Antoine. Tu dois lui dire. On est vendredi, tu as tout le week-end, tu te débrouilles comme tu veux mais tu lui dis ».

Ouh la ! On sent que ça va être le grand ménage !

Rentré chez lui il y a une fête d'anniversaire, genre tous les copains sont là, on éteint les lumières et quand il rentre : « Surprise ! » « Oh je ne m'y attendais pas ! ».

Mais avant la fête d'anniversaire il y a la scène que lui fait sa femme parce qu'on l'a vu, lui Antoine, en compagnie d'une belle brune dans un resto, main dans la main et avec ce regard un peu bête qu'ont tous les amoureux du monde...

Ah la la ! Qu'est-ce qu'elle est mal jouée par Marie-Josée Croze cette scène... Mais bon, le but du réalisateur c'est pas d'être crédible, c'est de laisser l'épouse s'enfoncer dans la colère et les malentendus, afin que les provocations et les quatre vérités d'Antoine paraissent encore plus justifiées...

Et ça marche ! Ça déménage ! Ça balance un tas d'atrocités ! Ah dis-donc ça se présente mal pour la fête d'anniversaire, prévue le soir même...

Dans cette fête, ils sont tous là les meilleurs potes d'Antoine, il y a même Bérengère, jouée par une Daphné Bürki aussi naturelle dans le film qu'elle l'est sur les plateaux télé où elle officie.

Évidemment, le repas tourne mal, Antoine essaie de peloter une copine un peu allumeuse (Virginie, le choix du prénom a sans doute été très étudié), puis ça dégénère en bagarre, en quatre vérités à tous les vents, chaque copain en prend pour son grade, puis Antoine nous fait un petit malaise, se remet, les copains rentrent chez eux, c'est désastre et désolation...

Bref, on arrive à grand pas à la quarante deuxième minute, il est temps de passer au deuxième temps fort du film : le road-movie vers l'Irlande.

Rien de particulier à dire, on se demande juste ce qui va se passer car, comparé à la première partie, c'est rudement calme.

Antoine prend sa voiture direction Cherbourg et, sur la route, il prend même un gars en stop.

Oh la vache ! Que va-t-il se passer ? Est-ce que le stoppeur va péter dans la BM ? Est-ce qu'il va s'essuyer les doigts sur les sièges ? Est-ce qu'il va laisser sa fenêtre grande ouverte alors que le film a manifestement été tourné en hiver ?

Même pas !

On apprend que le gars est chômeur, qu'il se rend à Valognes où un cousin lui filera peut-être du boulot, parce que bon, deux ans de chômage, licenciement, RMI, le parcours classique quoi. Même sa femme et son chien se sont barrés.

Mais malgré cela, c'est un chômeur qui a su garder sa dignité. Genre « c'est la vie » et je ne vais pas réclamer l'application de l'article 5 du préambule de la Constitution de 1946, faut pas déconner !

Non, j'fais juste du stop pour aller à Valognes. Un chômeur digne c'est un chômeur qui ne la ramène pas et qui comprend parfaitement les difficultés dans lesquelles se débattent la classe patronale. On ne va pas ajouter des problèmes aux problèmes.

Putain ! C'est pas possible ! Il va se faire allumer par Antoine lui aussi ?

Même pas ! Ils vont même sympathiser. Et lorsqu'il le dépose à Valognes, Antoine lui file même tout ce qu'il a pu retirer d'un distributeur de billets !

Mais le chômeur il n'en veut pas de cet argent, il galère mais il ne fait pas la manche quoi (il est digne, rappelez-vous). Antoine insiste. Alors le chômeur réfléchit, on le voit soupeser le pour, le contre... Et il accepte !

5 secondes pour soupeser et accepter ! Le scénariste n'a prévu que cinq secondes pour cette scène. Rappelez-vous en la prochaine fois que vous irez taper un copain : cinq secondes c'est désormais le laps de temps en-dessous duquel vous êtes un mufle et au-dessus duquel vous êtes un lourd. Je vous avais dit plus haut que ce film allait nous apprendre à vivre !

 

Bon ! La suite je vous la fais rapide, parce que j'ai déjà trop abusé de votre patience, et puis de toutes façons je vous déconseille fortement d'aller voir ce film qui n'en vaut pas la peine.

(mais si vous l'avez vu, ce billet devrait être plus drôle)

Antoine embarque pour l'Irlande, là il roule jusqu'à une... ferme ? Peut-être, aucune importance.

L'important c'est que dans cette bicoque il y a... le papa d'Antoine !

Mais... Mais qu'est-ce que tout cela veut-il bien dire ? Il se fâche avec tout le monde, il se barre, il va voir son père... Il ne reste qu'une demi-heure de film et on ne comprend rien !

Après quelques explications genre « règlements de compte en famille » où on apprend que le père d'Antoine s'est tiré lorsque ce dernier avait treize ans, Antoine et Papa vont à la pèche. Antoine fait un malaise dans une rivière, Papa s'affole, Papa veut amener son fils à l'hosto, Antoine veut pas, Papa promet qu'il sera désormais présent (à mon avis c'est trop tard Edgar !), mais en fait, Antoine...

Antoine il meurt...

Ben oui ! C'était ça le secret du film : Antoine avait un cancer et il allait bientôt mourir...

Et le seul moyen qu'il avait trouvé pour qu'on ne le regrette pas avait été d'être désagréable avec tout le monde...

Et la nana aux gestes affectueux dans le resto, c'était une amie d'enfance, qui était aussi sa toubib... Pas sa maîtresse... Ah la la ! Qu'est-ce qu'elle doit se sentir conne maintenant la bonne copine qui avait vendu la mèche à l'épouse d'Antoine au début...

Alors bon, c'est un film français, c'est un drame, il doit forcément y avoir une morale. Le seul qui s'en sort plutôt bien en fait, c'est le chômeur.

Ça doit être ça la morale : vu le cataclysme économique qui nous pend au nez, allez donc faire du stop à la sortie des centres d'oncologie...

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